SIMPLEMENT
FRANÇOIS :
« Un temps pour changer » :
Le traité du pape pour se relever après la
pandémie
Le pape
François livre un véritable traité pour se relever après la pandémie de
Covid-19, et construire un « monde meilleur », dans un ouvrage
d’entretien réalisé par le journaliste britannique Austen Ivereigh :
« Un temps pour changer » est paru aux éditions Flammarion le 2 décembre
2020. Les sociétés ont « désespérément besoin » d’être sauvées du
bien-être, assène-t-il notamment, en fustigeant l’individualisme. Ce livre
de 223 pages est rédigé en trois parties suivant un « processus de
conversion », explique le rédacteur : « voir-choisir-agir ».
Dans ce texte au nom du pape, qui est le fruit de divers échanges au
Vatican, mais aussi de documents compilés et travaillés à sa demande, il se
confie de façon très personnelle sur les « trois Covid » de sa
vie, ces « temps d’arrêt » ou crises qui révèlent « ce que
nous avons dans le cœur ». Comme il l’avait fait en avril dernier, dans un contexte économique
critique, il plaide pour un revenu de base universel assurant « la
sécurité de base à tous » et reconnaissant « la valeur du travail
des personnes non salariées ». Il suggère aussi « une réduction
du temps de travail avec des salaires adaptés », qui pourrait
augmenter la productivité et permettre à plus de personnes d’accéder à
l’emploi.
« Il y a toujours un moyen
d’échapper à la destruction »
Le « génie de l’histoire
humaine », souligne le pape, c’est qu’il « y a toujours un moyen
d’échapper à la destruction ». Et d’exhorter : « Osons rêver.
Dieu nous demande d’oser créer quelque chose de nouveau. Nous ne pouvons
pas revenir aux fausses sécurités de l’organisation politique et économique
d’avant la crise. » Le pape confie sa peine en ce temps de pandémie
mondiale où son esprit et son cœur « ont débordé de personnes ». Évoquant
d’autres virus sociaux aussi « graves » que le coronavirus
(guerres, destruction de la nature), il rend hommage à « ceux qui ont
cherché par tous les moyens à sauver la vie des autres ». Comment le
monde est-il devenu si dur ? « Ce qui nous a tourné la tête, estime le
pape, c’est le mythe de l’autosuffisance, qui a murmuré à notre oreille que
la terre existe pour être pillée ; que les autres sont là pour répondre à
nos besoins ; que ce que nous avons gagné ou ce dont nous manquons, c’est
ce que chacun mérite ; que ma récompense, c’est la richesse, même si cela
signifie que le destin inéluctable des autres sera la pauvreté. » Or,
poursuit-il, « le fruit du bien-être égoïste est la stérilité. L’hiver
démographique que vivent actuellement de nombreux pays occidentaux est le
fruit de cette culture complaisante du bien-être. Il est difficile pour les
gens de comprendre comment le benessere, qui semble être une chose
souhaitable, devrait être l’état dont nous avons désespérément besoin
d’être sauvés ». Pour s’en sortir, il s’agit d’impliquer les personnes
qui sont aux périphéries, de travailler à « la restauration de la
dignité de nos peuples au cœur du monde post-Covid », d’apprendre à
dépasser la division en ayant « le courage d’incorporer d’autres
points de vue que le nôtre qui contiennent des éléments de vérité ». Le
pape François met en garde contre « trois manières désastreuses de
fuir la réalité » : le narcissisme, le découragement et le pessimisme.
Au passage, il épingle la politisation de la situation sanitaire :
« Ceux qui prétendent, par exemple, que le fait d’être obligé de
porter un masque est un abus de pouvoir de l’État, mais qui oublient ou ne se
soucient pas de ceux qui ne peuvent pas compter, par exemple, sur la
sécurité sociale, ou qui ont perdu leur emploi. C’est comme si l’autre ne
comptait pas. » Certains prêtres et laïcs, regrette-t-il, « ont
transformé en une bataille culturelle ce qui était en réalité un effort
pour assurer la protection de la vie ».
Discernement, vérités objectives
et principes solides
Au fil
des pages, il témoigne de la vision du prêtre théologien Romano Guardini –
sur lequel portait sa thèse inachevée : « Avec Guardini, j’ai appris à
ne pas exiger des certitudes absolues en toute chose, signe d’un esprit
inquiet. Sa sagesse m’a permis d’affronter des problèmes complexes qui ne
peuvent pas être résolus en appliquant simplement des normes, mais en
utilisant plutôt un mode de pensée qui te permet de naviguer dans les
conflits sans se faire prendre au piège. » Il confirme son
« allergie aux moralismes et autres ‘-ismes’ qui essaient de résoudre
tous les problèmes par des prescriptions, des équations et des
règles » : « Je sais que certains catholiques blêmissent quand je
parle comme cela, en particulier ceux qui, fuyant une société où la vérité
est considérée comme inconnaissable, ‘personnelle’ dans un sens individuel,
cherchent dans l’Église catholique une forteresse de certitude, semblable à
un rocher, imperméable au changement. » Mais le pape affirme qu’il
« abhorre également le relativisme, qui est le camouflage intellectuel
de l’égoïsme » : « Je crois aux vérités objectives et aux
principes solides, déclare-t-il. Je suis reconnaissant de la solidité de la
Tradition de l’Église, fruit de siècles de conduite pastorale et de
la fides quaerens intellectum, la foi qui cherche la raison et
la compréhension. »
La conscience isolée du « moi
arc-bouté » et son antidote
Le pape
épingle aussi « les catholiques à la conscience isolée », pour
qui « les raisons de critiquer l’Église, les évêques ou le pape ne
manquent jamais » : « soit nous sommes en retard sur notre temps,
soit nous nous sommes abandonnés à la modernité ; nous ne sommes pas ce que
nous devrions être ou ce que nous étions censés être. » Mais cette
attitude n’est que « retraite » et « scission »,
prévient-il. Au lieu de se lancer « dans la grande tâche
d’évangéliser », fait-il observer, ils se blottissent « dans
‘leur’ groupe de puristes, gardiens de la vérité » et finalement, ils
restent « au balcon tandis que la vie réelle passe en dessous ». Contre
cette conscience isolée du « moi arc-bouté, anxieux, dominant, prompt
à s’offenser, se justifiant lui-même », le pape donne un antidote qui
est « disponible gratuitement et ne coûte rien si ce n’est notre
fierté » : « l’accusation de soi », c’est-à-dire
« l’humilité de confesser nos fautes, non pas pour nous punir… mais
pour reconnaître notre dépendance à Dieu et notre besoin de Sa grâce.
Plutôt que d’accuser les autres de leurs échecs et de leurs limites, je
reconnais en moi une faute ou un comportement ».
La plus grande déviation du
christianisme ? Je n’hésiterais pas
« Si
tu me demandais quelle est la plus grande déviation du christianisme,
ajoute le pape par ailleurs, je n’hésiterais pas : c’est d’oublier que nous
appartenons au peuple. (…) Se placer au-dessus du peuple conduit au
moralisme, au légalisme, au cléricalisme, au pharisaïsme et à d’autres
idéologies élitistes, qui ne connaissent rien de ta joie de te savoir
membre du peuple de Dieu. » Aujourd’hui, assure-t-il, « si
l’Église a un rôle particulier à jouer en temps de crise, c’est précisément
pour rappeler au peuple son âme », car être chrétien c’est
« appartenir à un peuple dont Dieu s’est approché, un peuple organisé
en différentes nations et cultures, mais qui dépasse toutes les frontières
de race et de langue », pour le « bien commun ». Le pape
François s’arrête longuement sur cette notion de peuple, qui se forme
autour d’un « sens puissant de la solidarité, de la justice et de
l’importance du travail ». Au contraire, « l’indifférence,
l’égoïsme, la culture du bien-être et les divisions profondes au sein de la
société, qui se traduisent par la violence, sont autant de signes qu’un
peuple a perdu la conscience de sa dignité. Il a cessé de croire en
lui-même ».
Et maintenant, que dois-je faire ?
« Et
maintenant, que dois-je faire ? Quelle pourrait être ma place dans cet
avenir, et que puis-je faire pour le rendre possible ? » Le pape
répond par deux mots : « décentrement et transcendance ».
« Laisse-toi entraîner, secouer, défier… Ouvre-toi… décentre…
transcende, encourage-t-il. Et ensuite, agis. Appelle, rends visite, offre
tes services. Dis que tu n’as pas la moindre idée de ce qu’ils font, mais
que tu peux peut-être les aider. Dis que tu aimerais faire partie d’un
monde nouveau, et que tu penses que c’est un bon point de départ. » Parmi
les autres thèmes évoqués dans l’ouvrage : la solitude des personnes âgées
; la critique de l’économie néo-libérale qui prive « des millions de
personnes » d’espérance ; l’avortement qui est « une grave
injustice » car « si notre autonomie exige la mort d’un autre, ce
n’est rien d’autre qu’une cage de fer » ; le rôle des mouvements
populaires pour sortir de la « déshumanisation » ; les travaux
des différents synodes de son pontificat – avec notamment la question des
divorcés-remariés en détails.
Présentation de ANNE
KURIAN-MONTABONE,
Journaliste de Zénth.org
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